Aujourd’hui, c’est la journée internationale de la lutte contre les violences faites aux femmes. Hier, des milliers de personnes ont marché en France pour dénoncer les violences sexistes et sexuelles. Rassemblées par le mouvement #NousToutes, leur combat est universel. Aperçu au-delà de nos frontières des avancée en cours – ou pas – dans les pays de nos correspondants.

Mobilisation contre les violences faites aux femmes pour la journée de la femme à Beyrouth en 2014. © CrossWorlds / Nicolas Hrycaj.
Japon : Shiori Ito, le pavé dans la mare
“Au départ, la police ne voulait pas me laisser porter plainte. On m’a dit que ça arrivait fréquemment, et qu’il était difficile d’enquêter sur mon cas. La police m’a aussi dit que je décidais d’agir, je perdrais mon travail et que ma vie serait détruite.”
Il y a exactement treize mois, la journaliste Shiori Ito témoignait de l’intolérance de la société japonaise face aux victimes de viol devant la presse étrangère réunie à Tokyo, devenant ainsi une des figures de proue du mouvement Me too au Japon. Après avoir été victime d’un viol en 2015, Shiori Ito décide de “briser le tabou” qui entoure les violences sexuelles au Japon et de poursuivre en justice son violeur présumé, M. Noriyuki Yamaguchi, un journaliste renommé et proche du premier ministre.
“Le début d’un cauchemar”, raconte-t-elle, “j’ai moi-même dû convaincre la police de mener l’enquête” et “peu de gens m’ont soutenue quand j’ai décidé de témoigner”. “Je n’aurais jamais imaginé faire face à une telle violence : on m’a traitée de prostituée sur les réseaux sociaux.”
Un signalement trop rare
Si la journaliste soupçonne une intervention politique visant à protéger son agresseur, toujours pas inquiété par la justice, elle déplore surtout l’absence de prise en charge pour les victimes de violences sexuelles au Japon. “La société refuse de faire face à ces problèmes, mais nous ne pouvons plus ignorer la question des violences sexuelles”, conclut-elle alors, appelant les victimes à témoigner “pour que les choses changent”.
1 167 viols et 6 755 outrages à la pudeur sont recensés au Japon en 2015. Un rapport du gouvernement nippon, consulté par l’agence de presse Reuters, souligne que seulement 4,3% des victimes de violences sexuelles ont signalé leur agression en 2014. Dans une société patriarcale où prévaut un idéal d’harmonie sociale, il est peu étonnant que les victimes hésitent à se faire entendre.
Wagon pour femmes, appareils photos bruyants
Peu de politiques publiques sont mises en place pour prévenir ces violences, tandis que le thème reste peu abordé par le monde politique. Malgré certaines mesures phares, les initiatives pratiques ne sont généralement pas prises par le gouvernement.
Par exemple, la mise en place de wagons réservés aux femmes, dans le but d’éviter les attouchements dans les transports aux heures de pointe, a été décidée conjointement par les compagnies de transports et la police de Tokyo. Pour prévenir l’upskirting (la prise de clichés sous les jupes, à l’insu de la personne photographiée) qui a fait son apparition au Japon au début des années 2000, les opérateurs mobiles sont passés à l’action. Constatant que le phénomène était lié à la vente de téléphones portables munis d’appareils photos, ils ont alors passé des accords avec des fabricants de téléphones pour qu’un son soit obligatoirement émis lors de la prise d’une photo. Et cela même en mode silencieux.
Plus récemment, il a aussi fallu qu’une pétition en ligne recueille plus de 100 000 signatures, pour que l’exécutif rédige un projet de loi visant à réformer la définition légale du viol, qui était vieille de 110 ans. En juin 2017, l’article 177 du code pénal japonais a donc été modifié, pour élargir cette définition à “rapport sexuel forcé”, prenant nouvellement en compte le viol anal ou oral et reconnaissant les hommes comme victimes potentielles.
Au Japon, on ne dit pas me mais we
Grâce à cette nouvelle définition, le nombre de viols recensés a augmenté de 27% durant la première moitié de 2018, par rapport à la même période l’année précédente. Les femmes restent peu nombreuses à dénoncer leur agresseur, et le mouvement Me too n’a eu qu’un impact limité dans la société japonaise.
“Me too est un mouvement américain” affirme à CrossWorlds Ayumu Watanabe, du Centre du genre et des sexualités à Waseda university, « au Japon il n’y a pas de me (je) mais toujours un we (nous), il est difficile de s’affirmer en tant qu’individu et de sortir du rang ».
“Récemment, les paroles se libèrent, mais cela prend du temps”, ajoute-t-il.
Paradoxalement, le sujet des violences sexuelles reste peu abordé au Japon, alors que l’industrie du sexe est souvent très visible, et que le viol est banalisé par la pornographie. Selon Ayumu Watanabe, cela serait lié aux inégalités de genre dans la société : “Dans les entreprises, tous les patrons sont des hommes, il y a peu de femmes qui ont du pouvoir”.
Selon un rapport du ministère de la santé, presque un tiers des femmes japonaises ont déjà fait face au harcèlement sexuel sur leur lieu de travail, et plus de la majorité a choisi de ne pas rapporter les faits. Le problème ne vient pas tant des femmes, affirmait Shiori Ito, que du “système social et légal qui marginalise les victimes et qui fait qu’elles ne sont pas entendues et nous ne pouvons pas attendre encore 110 ans pour changer ce système”.
Benoît Olry
Inde : MeToo India, un mouvement qui prend enfin de l'ampleur
Un an après son lancement à Hollywood, la vague MeToo arrive finalement en Inde. Initié dans l’industrie du cinéma, le mouvement laisse entrevoir l’espoir d’une transformation de la société indienne face aux violences sexistes et sexuelles.
Le 26 septembre 2018, l’actrice indienne Tanushree Dutta accorde une interview à Zoom TV. Dans celle-ci, elle accuse l’acteur Nana Patekar de l’avoir harcelée sexuellement sur le tournage du film Horn « Ok » Pleasssss, en 2008. Cette déclaration résonne comme un coup de tonnerre au sein de Bollywood, énorme industrie du divertissement et du cinéma.
Derrière la danse et les paillettes, les masques tombent. Après elle, de nombreuses femmes travaillant dans le domaine des média, du cinéma indien et même au sein du gouvernement commencent à prendre la parole en racontant leurs histoires de harcèlement voire d’agressions sexuelles. Le mois d’octobre semble donc être celui de la fin du silence. Ces histoires inondent les réseaux sociaux, au point que sur la carte de Google représentant la montée du #Metoo, l’Inde étincelle.

Capture d’écran de la carte interactive le 12 octobre dernier, les principales villes se trouvent toutes en Inde.
L’espoir d’une véritable transformation de la société
De nombreuses personnalités sont accusées. Parmi elles, MJ Akbar, ministre au gouvernement BJP, le parti du peuple indien, contraint à la démission. Ces dénonciations en chaîne donnent la possibilité aux femmes de s’exprimer et d’être entendues. L’actrice Tanushree Dutta a, dès 2008, lancé des accusations contre la star bollywoodienne Nana Patekar. Elle n’est soutenue à l’époque, ni par la presse, ni par la Cine and TV Artists Asociation, association censée protéger les intérêts des acteurs et actrices de Bollywood.
Aujourd’hui, l’ancienne actrice a décidé de porter plainte. Les mentalités changent jusque dans les débats télévisuels. La masculinité, l’éducation genrée que reçoivent les garçons et les filles, les réactions que ces accusations provoquent sont débattues, questionnées, laissant espérer une véritable transformation de la société et une nouvelle vision de la femme en Inde. Comme la critique de films et fine connaisseuse du milieu de Bollywood Nandita Om Puri a pu le dire lors de son discours inaugural ouvrant le Chitkara International Film Festival 2018, à Chandigarh le 15 Novembre dernier: « Les filles ont leur place à prendre dans les films, surtout en cette ère Metoo ».

Deux femmes se promenant dans les rues de Jodhpur, Novembre 2018, © CrossWorlds/Murielle Loek
Les limites du mouvement
Pourtant, Shivangui, étudiante à Chandigarh, capitale de l’Etat agricole du Punjab reste sceptique. « Honnêtement, ce mouvement, je n’y crois pas trop, la situation des femmes ne changera pas en un mois et il va falloir bien plus longtemps pour éduquer une population aussi grande que celle de l’Inde », nous confie-t-elle. A Chandigarh, les premiers témoignages MeToo ont été relayés par le journal régional The Tribune. Un directeur d’une école primaire aurait profité de sa position de pouvoir pour s’attaquer à ses élèves.
C’est donc un mouvement qui a vocation à s’étendre à toutes les professions et à toutes les parties de l’Inde. L’importance des réseaux sociaux dans son expansion, permettant à quiconque ayant un compte d’avoir une voix et de s’exprimer, constitue aussi sa limite.
Hashtag lancé sur Twitter principalement, repris par la presse parfois, ce mouvement semble être réservé à une partie de la population minoritaire qui a accès à un réseau internet. Le mouvement est critiqué pour son manque de représentativité. Ce problème est illustré à travers un article du journal indépendant le Daylio qui met en avant six histoires de harcèlement sexuel que les victimes ne raconteront pas justement sur Internet. Parce qu’elles sont toujours en contact avec leur agresseur, parce qu’elles ont peur de perdre leur emploi, parce qu’elles n’ont pas survécu.
« Le pays qui n’aimait pas les femmes »
Il est donc possible de se réjouir de l’apparition du mouvement MeToo en Inde sans toutefois occulter que la condition des femmes reste très précaire dans cette société patriarcale.
Le documentaire d’Arte Le pays qui n’aimait pas les femmes en témoignait en 2013. Dans ce film, le réalisateur David Muntaner montre la vie de quatre femmes, de villes, de milieux et d’âges différents et qui sont pourtant toutes maltraitées par une société indienne traditionnelle et misogyne. On y parle d’infanticide, de la façon dont les veuves sont traitées mais aussi de viols, de violences conjugales.
Ainsi, selon le National Crime records Bureau, le nombre de viols et d’agressions sexuelles serait en nette progression sur la période 2011-2016. On compte 38 947 cas de viols, de femmes comme d’hommes, durant la seule année 2016 contre 24 206 en 2011, ce qui représente une hausse de 60%.
Ces chiffres mettent en avant la nécessité pour le mouvement d’être plus inclusif. C’est ce que sous-entend le professeur Navgeet, auteur d’un papier sur la jeunesse LGBT : « Il faudrait que ce mouvement ne concerne pas seulement Bollywood mais aussi tous les secteurs, les femmes comme les hommes victimes d’agressions. » . Le nombre d’agressions signalées contre les femmes sont elles passées de 42 968 cas en 2011 à 84 746 en 2016. Sans compter tous les cas où aucune plainte n’est déposée, notamment lors de violences domestiques.
Malgré la mise en place d’une loi pour faciliter la dénonciation de ces violences, son application concrète reste difficile. Dans le cadre privé, il est compliqué de trouver des témoins. De plus, ces violences sont parfois tellement communes qu’elles sont interiorisées par une certaine partie de la population comme faisant partie de la vie du couple.
Aurélie Loek
Canada : surreprésentation des femmes autochtones parmi les victimes
Pour s’attaquer aux violences sexuelles au Canada, notre correspondante a interviewé Funké Aladejebi, professeure de Gender & Women Studies à l’université du Nouveau-Brunswick.
De la violence au Canada.
Comment ? Cette combinaison de mots vous choque ? Vous associeriez plus volontiers le pays de la feuille d’érable aux notions de paix, d’entente réciproque et de cordialité ? Pour Funké Aladejebi, professeure de Gender & Women Studies à l’université du Nouveau-Brunswick, cette représentation idyllique est en grande partie le fruit d’un récit national savamment construit. « Le concept de violence en général est partie prenante de notre nation depuis un long moment. En effet, par son passé colonialiste, le Canada comporte une violence intrinsèque, particulièrement au regard du génocide culturel subi par les Natifs », m’explique-t-elle.
Femmes autochtones disparues et assassinées
Aujourd’hui, les femmes autochtones sont beaucoup plus susceptibles de subir violences et agressions sexuelles, qu’elles soient commises par des membres de leur communauté ou non. Cette surreprésentation est un problème sociétal de taille, connu sous le nom de « Missing and Murdered Indigenous Women ».
Cette réalité n’a commencé à intégrer le débat publique que depuis une dizaine d’années , une campagne du même nom ayant émergée dans le but de retrouver et rendre justice à ces femmes. Efficace ? « Le simple fait que nous ayons cette conversation démontre que non. Le gouvernement fait un bon travail en diffusant le message, mais ne se concentre pas suffisamment sur les problèmes systémiques à l’origine de ces violences pour aspirer à les contrer efficacement », répond Funké Aladejebi.
Plus de signalements dans les campus
Car la société canadienne perpétue certains éléments de la culture du viol. Le report de plus en plus prépondérant d’agressions sexuelles sur les campus universitaires en fournit un exemple éloquent : parce que certaines femmes sont perçues comme « sexuellement disponibles » (à cause de préjugés relatifs à la tenue plus ou moins susceptible de tenter les agresseurs, ou l’idée selon laquelle les femmes étant plus vulnérables, elles seraient d’autant plus propices à être brutalisées), les violences subies par les femmes ont tendance à être normalisées.
Mais allons-nous vraiment vers une augmentation des violences ? L’accroissement du taux de viol en milieu étudiant précédemment mentionné laisse présupposer que oui. Or, c’est son signalement aux autorités qui a augmenté. « Ces agressions se produisent depuis très longtemps sur les campus et au Canada de manière générale, mais nous nous trouvons actuellement à une période charnière où la discussion commence à s’ouvrir sur le sujet, les femmes prenant de plus en plus la parole pour mettre en évidence l’existence de la culture du viol », explique Funké Aladejebi.
Mais les ressources sont limitées à l’échelle nationale pour prendre en charge les victimes ou simplement faire émerger des solutions pour lutter contre ces violences sexuelles.
Heureusement, des initiatives existent pour contrer l’intolérable silence. La White Ribbon Campaign se focalise notamment sur la sensibilisation des hommes aux violences, cherchant à éduquer par le biais d’affiches, de publications et de spots vidéos sur des sujets comme le consentement ou la masculinité toxique, ces normes négatives imposées aux hommes comme la virilité à marche forcée.
D’autres organisations fournissent assistance aux démarches de poursuites judiciaires et refuge aux femmes dans le besoin. L’efficacité de ces dispositifs est néanmoins soumise à condition: ces espaces de soutien doivent être accessibles géographiquement, chose parfois complexe en milieu rural, comme dans les grandes étendues canadiennes.
« Le problème de notre conception faussée de la réalité provient de notre incapacité à appréhender les violences à l’encontre des femmes à travers une approche intersectionnelle », souligne Funké Aladejebi. « Origine, pauvreté, lieu de vie, statut social et sexualité sont autant de critères intrinsèquement liés aux violences ayant cours au sein de notre société, et qui doivent conséquemment être appréhendés en interaction les uns avec les autres pour nous permettre de vraiment comprendre ce phénomène dans sa complexité. »
Au pays du sirop d’érable, les interactions sociales ne sont définitivement pas toujours aussi sucrées qu’elles ont l’air.
Hildegard Leloué
Argentine : pourquoi faudrait-il 'ne plus parler de victimes et de coupables'?
En Argentine, une femme meurt toutes les 29 heures sous le coup de violences sexistes. Selon le Registre National de Féminicides élaboré par l’association Ahora si nos ven cela représente 260 féminicides depuis le début de l’année. Les membres du collectif ont présenté ce constat alarmant, le 22 novembre 2018, devant la Chambre des Députés de la Nation.
Jesica Anabel Alarcón, avocate spécialisée dans les droits de l’enfant et de l’adolescent intègre toute la rhétorique féministe à ses plaidoyers en faveur des jeunes, et inversement. CrossWorlds l’a rencontrée.

Portait de Jesica Anabel Alarcón , novembre 2018. © CrossWorlds/Margaux Belanger
-Bonjour Jesica, peux-tu nous expliquer en quoi consiste ton métier ?
Je travaille avec le Conseil des Droits des Enfants et Adolescents de Buenos Aires, grand organisme étatique qui se dédie à la protection de ces derniers, trop souvent oubliés lorsque l’on parle des violences faites aux femmes.
En effet, ce qui m’intéresse dans mon métier est le fait de travailler avec des familles, je préfère le dire comme cela, car lorsque l’on parle de violences faites aux femmes, filles ou adolescentes, on entre avant tout dans une problématique familiale. C’est au sein de ce cercle que débute une grande partie de cette violence. Une violence bien plus naturelle et présente que l’on ne le pense : sur un groupe de cinq femmes, quatre ont déjà souffert de violences.
-En tant que femme et professionnelle du droit, dans quelle situation se trouve l’Argentine aujourd’hui selon toi vis-à-vis de ces violences ?
En ce moment il y a un incroyable mouvement de défense des victimes et de lutte contre ces violences, de prise de parole. C’est surtout depuis l’émergence de Ni Una Menos [un collectif né en 2015, sous le mot d’ordre « Basta de femicidios », « à bas les féminicides », ndlr], mais également avec les pañuelos verdes qui ont manifesté en faveur de la légalisation de l’avortement toute cette année.
Toujours plus de personnes s’unissent et je trouve incroyable la présence de plus en plus nombreuse d’adolescent.e.s dans ces manifestations non-violentes et solidaires. Bien qu’il nous reste beaucoup de travail et de lutte dans notre société où les femmes s’habituent à souffrir en silence par peur, ou par honte, cela a permis une prise de parole incroyable, des mots tels que la sororité sont employés par un nombre croissant de personnes.
Cependant, dans mon travail, je me retrouve tous les jours face à des enfants, adolescents et femmes vivant dans des situations de violences extrêmement fortes, souvent dans une grande vulnérabilité sociale. Des situations qui finissent par devenir « naturelle » dans nos sociétés, dans nos familles, dans notre culture. Nous-mêmes, professionnels juridiques, nous finissions par la mécaniser, dans la nécessité et la rapidité, et c’est cela qu’il faut combattre.
S’il y a une critique que je peux adresser au système actuel c’est son manque de soin, de suivi des victimes après la plainte. Effectivement, la majorité des plaintes nous viennent de l’Office de Violence Domestique. Après y avoir attendu des heures (car les rendez-vous sont saturés, les ressources de l’état insuffisantes) et passé de nombreuses et longues entrevues avec des psychologues où elles ont dû poser des mots sur ces violences, elles sont contraintes de rentrer chez elle. Malheureusement, c’est souvent le lieu même de la violence.
Ainsi, je soutiens qu’il faut, davantage que recueillir une plainte, la suivre, car certaines femmes en déposant plainte font de nouveau face à la violence, institutionnelle cette fois. Il m’est arrivé que des femmes me demandent de ne plus intervenir. Elles ne pouvaient plus supporter ces rendez-vous et ces appels, et n’étaient pas en capacité de quitter le travail pour participer au processus juridique. Elles me disent : « je vais le supporter, c’est comme ça ». Supporter, se soumettre à la violence, voilà à quoi sont réduites ces femmes.
-Quelles pourraient être les solutions à cette violence institutionnelle ?
Quand on commence à travailler avec la violence la première chose qui ressort est la haine et il existe aujourd’hui une division que je regrette : celle entre victime et coupable. J’ai souvenir d’un cas où je me suis retrouvée face à une famille faisant partie d’un programme institutionnel dénommé « Renforcement des liens » qui vise à venir rencontrer la famille dans son lieu de vie pour comprendre davantage la dynamique familiale et où peuvent se trouver les points de violence, autant physique, que psychologique ou matérielle.
Ce qui m’a le plus frappée est le visage du père, dont la femme se plaignait de subir des violences, rempli de haine, complètement furieux. J’ai décidé de donner la parole à l’homme, je l’ai invité à raconter son histoire, je ne cherchais pas à le justifier, simplement le laisser s’exprimer, de manière plus humaine qu’à travers un formulaire juridique. Il a fini l’entrevue en pleurant. Le futur de cette famille a pris un autre tournant après cela, et ma façon de travailler aussi.
Nous sommes tous humains, ne parlons plus de victimes et de coupables mais de deux êtres humains. Essayons de comprendre, « pourquoi ? ». Ce sont souvent des histoires qui se répètent, la violence entraîne la violence et il faut le reconnaître pour mieux la combattre.
Je parle pour la petite fille que j’ai été, la fille, sœur et amie que je suis, l’humain que je suis. Rappelez-vous que nous sommes tous humains et que la violence nous concerne tous, réveillons-nous.
Propos recueillis par Margaux Belanger
Les agressions sexuelles à Taïwan : 1, 2, 3... silence.
En cas de violences sexuelles, dans la grande majorité perpétrés par des proches, les Taïwanaises sont contraintes au silence pour sauver l’honneur de la famille. Mais des mouvements féministes commencent à investir l’espace public.
Dans un rapport de mars 2017, le Ministère de la santé et du bien-être de Taïwan dénombre trente cinq agressions sexuelles par jour, soit environ une toute les quarante minutes. Pourtant des étudiantes de l’Université nationale du pays me rapportent se sentir globalement en sécurité dans la rue à Taipei.
Sortir le soir en jupe, rentrer d’un club au petit matin, ne les inquiète pas vraiment. Elles préfèrent rentrer en petit groupe ou rester dans des quartiers du centre. Le climat sécurisant de Taipei explique que la peur généralisée de se faire agresser dans la rue est moins présente que dans d’autres villes. Le manque de conscience du danger peut aussi en être la source. En effet, les témoignages d’agressions se multiplient mais sont étouffés par une société conservatrice.
Dans la majorité des cas la victime connaît son agresseur
Ces violences n’ont pas lieu que dans la rue. D’après le ministère du travail, sur 4.18 million de femmes, 180 000 ont déjà subi une situation de harcèlement sexuel sur leur lieu de travail. L’enjeu est d’encourager ces femmes à parler, puisque 72% d’entre elles n’ont jamais abordé le sujet.
Kuo Jen-Feng, professeur de l’Université Nationale de Taiwan recueille des témoignages des victimes. « Ces choses ne partent jamais. Ne pas restez silencieuses. Nous devons parler », insiste-t-il lors d’un interview accordé à CrossWorlds. Selon lui, les victimes prennent de plus en plus conscience des abus et sont de plus en plus enclines à parler, à appeler la police.
D’après les chiffres du Ministère de la santé et du bien-être publiés en mars 2017, 73% des agressions sexuelles sont commises par une personne qui connaît bien la victime, contre 5% des cas où les agresseurs sont des inconnus. Ces statistiques, comme le confirme Kuo Jen-Feng, démontrent que ces agissements se déroulent dans le cercle social de la victime.
Conserver le silence pour l’honneur de la famille
Les violences domestiques sont un problème de société à Taïwan. D’après l’étude publiée par le Ministère de la santé et du bien-être, la situation est alarmante. 25% des Taïwanaises ont déjà été victimes d’abus de la part de leur partenaire. Seulement au cours de l’année 2015-2016, 10% des Taïwanaises ont souffert d’expériences traumatisantes relevant d’abus de leur partenaires. Ils sont autant psychologiques que physiques. La plupart racontent que des conflits commencent sous forme verbale et parviennent rapidement vers des attaques physiques, allant jusqu’au féminicide, le nom donné aux meurtres liés au genre féminin de la victime.
Dans la société taïwanaise, une grande importance est accordée à l’image traditionnelle de la famille. Le divorce est mal vu, et même en cas de violences. Ces conditions perdurent aujourd’hui dans de nombreuses familles, en particulier hors des grandes villes où les valeurs ont peu évolué. Cela n’encourage pas les victimes à dénoncer les abus au sein de leur foyer.
La tranche plus âgée de la population taïwanaise est marquée par une éducation traditionnelle où l’image de la famille est primordiale. Parler d’agressions au sein du cercle familial n’est pas envisageable. Dans ce cadre, la résignation prend le dessus.
Une justice jugée trop laxiste
Si le code criminel condamne les agressions sexuelles avec de la prison, le « Sexual Assault Prevention Act » de 1997, dernièrement amendé en 2015, prévoit d’autres mesures comme des traitements physique et/ou psychologiques, ainsi qu’un suivi avec un conseiller spécialisé.
L’association Women’s Link, dénonce des peines pas assez sévères, et le fait que la cour criminelle use très souvent de l’article 59 du code criminel, indiquant qu’une sanction peut être allégée selon les circonstances du crime.
Cet article, souvent invoquée lors des procès pour agressions sexuelles, permet à l’agresseur d’écoper d’une peine moins lourde s’il confesse son crime.
Cette situation est perçue comme extrêmement inéquitable par les associations féministes et par les victimes. Ces résultats n’encouragent pas non plus les femmes à porter plainte.
Les féministes prêtes à investir l’espace public ?
En réaction à ces discriminations, les associations féministes ou travaillant sur les abus faits aux femmes commencent à investir l’espace public. Le rassemblement en soutien au mouvement #MeToo organisé par The Garden of Hope Foundation – luttant contre les abus, trafics sexuels et violences domestiques faites aux femmes – a réuni plus de 2 000 personnes lors d’une marche à Taipei.
Pour Kuo Jen-Fen, Taïwan doit sensibiliser la société aux discriminations sexistes via l’éducation, rompre le tabou qui entoure la parole des victimes et rendre effective la législation.
Inès Girard
'Mon corps n'est pas ta scène de crime' : les féministes en Afrique du Sud tentent de se faire comprendre
« My body, not your crime scene »
« Mon corps n’est pas ta scène de crime » : cet été, des milliers de manifestants ont marché dans les rues en Afrique du Sud, scandant ce slogan glaçant et révélateur. Entre 2015 et 2016, c’est plus de 51 000 agressions sexuelles qui ont été signalées en Afrique du Sud, soit plus de 115 par jour, d’après le dernier rapport de la police nationale.
Si les importantes vagues de protestations ont été assez largement couvertes par les média sud-africains cet été, le mouvement à l’origine de celles-ci, #TheTotalShutDown, estime encore que ses exigences demeurent grossièrement ignorées par les pouvoirs.
Le président Cyril Ramaphosa se veut lucide sur la situation : « Notre société est trop tolérante vis-à-vis des violences faites aux femmes, qui se retrouvent souvent obligées de retirer leurs plaintes face aux agresseurs ». Mais pour le moment, peu de solutions sont apportées par les pouvoirs publics jusqu’à présent.
Les autorités ne sont pas les seules contre lesquelles ce mécontentement est dirigé : Désirée Lewis, professeure au Women’s and Gender Studies Department à l’Université du Western Cape, pointe également du doigt le rôle des médias sud-africains dans cet article. Elle estime que la couverture médiatique est certes présente, mais ne rend pas compte de la réalité sociale de ces violences.
D’une part, les informations diffusées concernent généralement des femmes de milieux favorisés, voire les femmes célèbres, et que trop rarement les farmers, domestics ou migrants. Si Désirée Lewis atteste de la situation déplorable et du relai de l’information nécessaire, elle affirme en revanche que les médias masquent le véritable impact de ces violences, notamment dans les townships, des bidonvilles où les drames les plus terribles ont lieu.
Les femmes, autant combattantes que victimes
D’autre part, les faits sont souvent relayés en caractérisant systématiquement les femmes de la même manière : celles-ci subissent les agressions plus qu’elles ne les combattent. L’agresseur est alors souvent vu comme un « dégénéré », sans questionnement des attitudes patriarcales qui imprègnent la société sud-africaine.
Ce traitement de l’information menace également la crédibilité du combat des activistes, encore critiquées et trop peu prises au sérieux. En effet, on observe une dichotomie entre l’image renvoyée par les médias, et celle que les groupes féministes présentent pour rendre compte de la gravité de la situation. Or, avec des statistiques de viols qui ne diminuent pas d’année en année, et une estimation de plus de 18% de la population atteinte par le VIH en 2017 d’après l’ONUSIDA , il semble qu’il y a pourtant urgence à une réelle sensibilisation.
En vous lisant, j’ai retrouvé l’ame des aventuriers, des reporters…vos différences font votre force, vos articles permettent de voir le monde tel qu’il est.
Merci pour votre courage.
Olivier